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Mercredi 15 juin, Jour J
Et voilà. La machine est en route. Après plus de deux ans de gestation Mala a mis au monde son plus gros projet. Une école gratuite pour les enfants les plus pauvres dans un faubourg hautement politisé et hostile par nature. Les écoles privées sont toutes plus chères les unes que les autres, une école privée gratuite est une gageure, un défi social : prouver que les enfants des villages ont les mêmes capacités que les nantis, pourvu qu’on leur donne leur chance. Cela ne pouvait démarrer qu’avec l’appui du groupe local actif et respecté que constitue le Mid Town Rotary Club de Pondicherry, qui a en plus accepté le management de l’école. Cela ne pourra fonctionner ensuite que grâce au travail du groupe solide et dynamique constitué par les 50 Membres Mala et la confiance des nombreux donateurs qui les épaulent dans cette action.
Ce matin en route dès 7h30. D’habitude il faut 20 minutes pour arriver à Kombakkam, aujourd’hui il en fallait le double… C’est la rentrée des classes ! Des myriades de motos conduisent les enfants, c’est superbe à voir. Ils sont fringants dans leurs uniformes de toutes les couleurs. Les plus nombreux sont les bleu et blanc et les kaki et blanc des écoles officielles, mais il y a aussi des bleu pâle, des dupattas bordeaux, gris perle, bleu roi, bleu azur, roses, orange, à l’infini. Et des cravates vertes, mauves, à carreaux, à lignes, extraordinaire… Les motos et autorickshaws chargés d’enfants me dépassent par la gauche, par la droite, par en dessous, me croisent en diagonale… chacun doit être bien à l’heure, aujourd’hui…
A la sortie de la ville ça va mieux. Il est environ 8 heures quand la Gandhiji School est en vue, discrètement située à une centaine de mètres de distance de la route principale.
Tous les ouvriers sont déjà au travail, il doit y en avoir une soixantaine. Le day security watchman claque des bottines. Annamalai est souriant, pour lui aussi c’est un jour important.
A l’entrée de la rangée des quatre classes terminées, les institutrices en sari. Cinq d’entre elles seront titulaires et Kanmani la directrice se chargera de la coordination et des remplacements. A peine le temps d’un petit bonjour nerveux aux différents corps de métier et ça y est, ils arrivent. C’est ridicule, je tremble. Ce sont nos enfants. Ils sont eux aussi en toutes couleurs puisqu’ils n’ont pas encore d’uniforme. Les parents les quittent dès la barrière d’entrée. Ils sont très sérieux mais quand même il y a ça et là une esquisse de sourire. Certains sont pieds nus. Les ouvriers ont fait un chemin d’accès pour passer dans les travaux. Les enseignantes accueillent les enfants et les dirigent immédiatement vers leurs classes respectives. Les bancs viennent d’y être disposés. L’atmosphère est très calme.
Le groupe du comité du Rotary arrive à 8h30, l’heure de la puja. Les enfants sont disposés dans le couloir assez large à l’entrée des classes. La prière est adressée à Dieu sans rituel particulier. A Kanpur la puja est hindoue puisque tous sont hindous. Ici c’est différent, même si la majorité sont hindous il y a aussi des chrétiens et des musulmans.
Kanmani la directrice parle aux enfants d’une manière simple. Elle leur explique la chance qu’ils ont même s’ils ne le réalisent pas encore clairement. A son tour Brem Nathan me présente en tant que le fondateur de Mala puis il présente chaque membre du comité. Lui aussi parle aux enfants d’une manière très directe. On se détend.
Puis c’est l’hymne national. Une très douce mélodie. Ca, Mala, c’est le moment le plus dur. Voir toutes ces petites frimousses concentrées et confiantes, il faut être en béton pour résister. Redoutable…
Une fois dans les classes on passe à la distribution des cartables et des cahiers. Ils ne disent plus rien, ils regardent les yeux grands ouverts. Et puis il y a des crayons, et des plumiers, et des gommes, et des lattes, et des, et des…
« Mais il faudra bien travailler hein, les enfants ? »
« Yes Miss, yes, Miss ! »
Sur la terrasse Das le cuisinier est passé à l’action depuis longtemps. Le temps est couvert, tant mieux. Sa cuisine est largement étalée, les réchauds fonctionnent, cela commence à sentir bon le sambar. La nourriture, c’est aussi le domaine d’Annamalai, il est partout, fort efficace et toujours souriant.
Evidemment, il manque encore du matériel élémentaire. Il faut des petits seaux et des petits brocs dans les toilettes qui fonctionnent depuis …une heure à peine, il faut d’urgence des « kudams », des pots à eau qu’on tient sur la hanche comme les anciens en laiton chez Mala India : un kudam en inox par classe, avec son couvercle- un pot et un gobelet. Un seul gobelet suffit puisqu’on boit sans le toucher des lèvres. Il faut aussi des ramassettes, des seaux... Il est 10h15, on a juste le temps, le lunch est à 12h15.
C’est incroyable ce que l’on transpire. Le moindre travail et cela ruisselle… airco à fond, nous voilà à nouveau sur les routes de Pondy. Heureusement Annamalai connaît les raccourcis, pas toujours bien larges, mais enfin… Plastiques, kudams, seaux, douze litres de lait pour 3 heures et laddus pour tout le monde.
Laddus ? Ce sont des friandises sucrées de la taille d’une balle de golf. En calories ça doit dépasser de loin la crème fraîche 100 % mais les enfants adorent et ont rarement l’occasion d’en goûter. 150 laddus, 1600 roupies, soit 25 €, ce jour exceptionnel vaut bien ça, non… ?
Juste avant 12h15 on est de retour. Le lunch est prêt. Attention Mala, c’est la deuxième épreuve, encore plus redoutable que l’hymne national. Les enfants vont se laver les mains (les robinets sont installés vers 11h30 !) puis s’assoient par terre dans le même couloir. La salle à manger ce sera pour plus tard. Les aidantes servent le riz, le sambar, les légumes, le rassam, et le laddu bien sûr, sur un thali en inox fraîchement acheté la veille. Et ces enfants mangent, mangent, c’est trop beau. Mais surtout c’est trop bon ! Das a ajouté des papadams tout frais.
Qui veut encore du riz ? Du sambar ? Moi, Miss, moi aussi, Miss… Et chacun mange plus qu’à sa faim.
J’ai disposé sur un thali une pile de laddus.
Un garçon et une fille de 5ème parcourent tout le chantier et les étages pour distribuer une sucrerie aux ouvriers et ouvrières. « C’est le premier jour de notre école » disent-ils, avec un grand sourire, cette fois-ci…
Avant de partir je prends en ce jour historique une photo de chaque classe avec son professeur. En 1ère primaire deux enfants sont endormis sur leur banc…, leur banc en teck, venu du fond du Rajasthan et qui date de 1920, quand Gandhi était à l’œuvre pour son pays.
Dormez confiants, les petits, on va vous donner la chance de mieux le comprendre, ce pays de Gandhi.
Quant à moi, c’en était assez. C’est toute la tension de cette longue préparation qui subitement retombait. Le grand blanc. Comme les buffles de Pondy qui rentrent chez eux tout seuls sans que personne ne les accompagne, la bonne jeep m’a ramené à l’hôtel. Juste un petit arrêt pour une tasse de chai et du papier brun ordinaire pour couvrir les livres, et puis plus rien. Une heure de fauteuil métallique sur la terrasse et un peu de rédaction pour les amies et les amis de Mala…